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Il y a des livres dont on ne peut décrocher mais dont on sait qu'on n'aimerait jamais voir la fin. Malheureusement, j'ai vu la fin de Karoo hier soir.
Karoo, c'est quoi? C'est, selon la 4ème de couverture, le roman que Steve Tesich a achevé quelques jours avant sa mort. Mais c'est surtout un livre sur la lâcheté. La lâcheté qui guide nos vies.
Saul Karoo, le narrateur, débute ce livre en nous expliquant qu'il souffre d'une maladie des plus étranges : peu importe la quantité d'alcool qu'il ingurgite, il ne peut plus s'enivrer. Le coup est rude pour un type qui essaye de fuir le moindre petit tracas de la vie. Cet alcoolique notoire ne peut plus se noyer dans la boisson et doit donc faire face à ses propres démons.
La première des lâchetés décrite dans ce livre est l'incapacité de Saul à ne plus être cet alcoolique. Tout le monde le connaît ainsi, et changer son image auprès de son entourage lui demanderait bien trop de courage. Il simule donc l'ivresse à chaque fois que la situation l'exige. Et cette lâcheté dictera sa conduite du début à la fin de l'histoire. Saul essaye de changer, mais ne l'assumera jamais devant personne, de peur de déstabiliser.
Autre manifestation de son manque de courage, il semble ne pas vivre sa vie.
Le narrateur exerce un métier particulier, il est "Docteur de scénario". Pour le dire grossièrement, des producteurs lui envoient des scénarios qu'ils jugent ratés, et demandent au Doc de les remanier pour en faire des blockbusters. Saul est un génie reconnu dans le milieu, mais il essaye surtout d'être le Docteur de sa propre vie. Avec un regard entièrement neutre et désintéressé sur ses propres expériences, il anticipe et organise son existence pour en faire des moments de cinéma.
Un évènement va permettre à Saul de se racheter auprès de son ex-femme, de son fils adoptif, et surtout de lui-même. Cette promesse de rédemption va bousculer l'ordre établi, et permettre au narrateur d'évoluer. Le livre réussit le tour de force de faire progresser son héros en mode turbo, tout en le laissant s'enfoncer de plus en plus profond dans ses propres défauts. Saul est lâche et il le restera, mais il apprend.
La grande force de ce livre c'est de sans cesse se réinventer, sans pour autant changer son idée de fond. La narration s'élargit pour terminer sur une véritable odyssée dont on ne retient qu'une chose. Que je ne vous dirai pas. Lisez le livre.
Le tout est servi par un style tranchant et direct. Pas de fioritures, c'est cynique, cinglant, tragique, drôle, sans faire dans le détail.
Karoo c'est ce genre de livre qu'on met de côté en se promettant de le faire lire à ses gamins quand ils auront l'âge de comprendre ce qui s'y cache.